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Déjà titulaire de six condamnations, l’ex-lieutenant David avait été un héros. Né en novembre 1895, fils d’universitaire, deux fois blessé pendant la guerre de 14-18, deux fois cité, il avait été nommé sous-lieutenant au front à titre temporaire, puis à titre définitif.
Pourtant, il fut inculpé en 1926 d’espionnage et d’escroquerie au profit de l’Allemagne. Réclamé au Reich alors qu’il s’était réfugié à Dusseldorf, il ne fut extradé, et donc jugé, que sur la seule inculpation d’escroquerie.
C’est au cours du procès de 1934 que l’on apprendra à connaître le personnage.
Ma grand-tante Claire Louise Jeanne Alphonsine est née le 2 décembre 1885 à Tunis et y fut baptisée en 1886. Dernière née, elle fut appelée Bimba par sa ‘nounou’ italienne et par toute la famille.
L’histoire de ses parents n’est pas commune. Sa mère, Claire Amouroux, née dans le département de l’Aude en 1848, était couturière puis modiste. Son père, Julio Felipe Mauricio Deloustal, était né à Santiago de Cuba en 1848, de parents français : Louis Deloustal, né à Carcassonne en 1816, et Louise Derouville, originaire de Saint Domingue. Jules a beaucoup voyagé. Après sa naissance à Cuba, il a passé sa jeunesse à Barcelone où son père avait une usine de savon. Rentré en France à sa majorité, il épousa Claire Amouroux en 1870 à Marseille, où naquirent aussi leurs deux premiers enfants. La famille partira en 1873 en Tunisie, où naîtront encore trois enfants ; la dernière née fut ma grand-tante. Seuls les plus âgés des enfants purent garder le souvenir des voyages en France vers « Gatimel », la propriété du grand père Louis à Malegoude près de Mirepoix ; Bimba était trop jeune.
Jules partit ensuite au Tonkin au milieu des années 1880, laissant derrière lui sa famille. Vers 1887, ils furent tous réunis à Hanoï, où Jules était avocat défenseur auprès du Tribunal. C’est donc à Hanoï que « Bimba » passa son enfance et sa jeunesse . Sa mère avait le sens des affaires et gérait au mieux les revenus de la famille. Il reste dans la famille le souvenir des promenades en calèche autour du lac à Hanoï ainsi que des cinq maisons construites pour les cinq enfants …
Le mariage, pour les français des colonies, constituait une difficulté : Bimba voit ses frères aînés se marier, et sa sœur Juliette (de un an son aînée) épouser un administrateur des services civils du Tonkin en 1905. Bimba a 20 ans. Sur un coup de tête, elle épouse Emile Beausire, agent de voirie à Hanoï, le 26.4.1905, quatre mois après le mariage de sa sœur. Très vite, il s’avère que ce n’était pas un bon choix, et sa mère pousse Bimba à divorcer, ce qui sera fait le 30.11.1909. Six mois après, le 2.11.1910 à Hanoï, Bimba épouse un jeune officier, Marie Gustave Henri Salel, lieutenant au 1er régiment de tirailleurs annamites. Ils eurent une fille Georgette, née en 1915. Il semble que la carrière du lieutenant, qui sera capitaine, commandant puis lieutenant-colonel, se passa en Indochine. Toute la première partie de la vie de Claire Deloustal s’est donc passée au Tonkin, bien loin de la France. Pourtant, c’est à Marseille le 2.2.1927 que son divorce avec Henri Salel est prononcé, 4 ans avant la mise à la retraite de ce dernier.
Bimba reste seule avec une petite fille de 12 ans. Comment rencontre-t-elle Désiré Charles Octave DAVID à Rennes ? et pourquoi l’épouse-t-elle en 1929 ? La saga familiale ne le dit pas, c’est le procès qui nous le révèlera.
L’audience du 18.6.1934 est la troisième de ce procès devant la 12ème Chambre Correctionnelle de Paris.
Le président Mougin rappelle les hauts faits de David : il doit répondre d’un certain nombre d’escroqueries au préjudice de diverses femmes qu’il avait séduites, et dont il avait obtenu des sommes importantes. Au cours des audiences précédentes, plusieurs des ex-fiancées avaient défilé à la barre. Aucune n’avait chargé l’accusé, par peur du scandale. Les défenseurs, maîtres Idzkowski et Hazan « s’attachaient à prouver que les victimes avaient cherché leur destin et voulu, guidées par l’intérêt, profiter des capacités subtiles d’un séducteur qu’elles croyaient un adroit financier » écrit Marcelle Kraemer-Bach dans Marianne le 7.11.1934.
Déjà, en mai 1928, David avait été condamné à 5 ans de prison pour s’être approprié sans vergogne les bijoux d’une riche veuve qui l’honorait de son amitié ; cette condamnation avait été confirmée le 21.1.1929 et il était sorti de prison en 1930 grâce à une remise de peine…
Aujourd’hui, le « Don Juan des sleepings » est à nouveau poursuivi pour escroquerie. Ce ne sont pas 1000 mais tout de même six plaignantes qui l’accusent, bien que David se targue d’avoir grugé au moins cinq cents femmes ! A sa sortie de prison en 1930, il rencontra à Rennes, dans la clinique où il était soigné pour insuffisance rénale, Claire Deloustal, fraichement divorcée et mère d’une fille de 15 ans. Ne soupçonnant rien de ses affaires judiciaires, elle fit confiance à Désiré, l’épousa à Marseille, puis lui confia ses bijoux et ses avoirs. Sans doute la mauvaise conduite de son nouvel époux devint-elle rapidement évidente pour Claire Deloustal, qui divorça avant de porter plainte pour escroquerie. Pendant que la justice examinait les plaintes à l’encontre de David celui-ci continuait son manège. Peu avant son procès, il épousa la fille d’un magistrat dont il avait un enfant. Toujours mariée, la malheureuse jeune femme assista, blême, aux audiences.
Le 18.6.1934, la plaignante Claire Deloustal est appelée à la barre. C’est cette scène que de nombreux journaux reprennent en France. « Sa déposition fut dramatique » écrit Marcelle Kraemer-Bach dans Marianne. « Très élégante, chapeau noir et jaquette blanche » écrit Eugène Quinche dans Le Petit Parisien qui publie d’elle un croquis. «Elle arrive, grande, sculpturale, très pâle. On lui tend une chaise sur laquelle elle se laisse tomber. » publie Geo London dans Le Journal. La « femme du colonel » comme on la nomme dans certain journaux (dont l’International Herald Tribune), se présente plutôt comme fille d’avocat, et n’est pas intimidée par le prétoire et ses joutes. « Si je viens à cette barre, c’est pour montrer que je n’ai pas peur du scandale» Elle explique que, divorcée et mère d’une jeune fille, elle songeait à refaire sa vie dans l’intérêt de cette fille et avait cru épouser un grand blessé de guerre. Mais les arguments insultants des défenseurs la mettent hors d’elle-même : «je suis fille d’avocat, mon père n’aurait jamais traité une femme comme vous me traitez». Geo London écrit : « Le procureur Gavalda intervient pour demander à Maitre Hazan de ne point torturer la malheureuse madame Deloustal. Défaillante, la plaignante se laisse retomber sur sa chaise tandis que son conseil, maitre Maurice Paz, prie le Tribunal d’accorder à sa cliente quelques instants de repos ». Claire Deloustal fut la seule plaignante à se porter partie civile.
Le réquisitoire du substitut Gavalda et la plaidoirie de maître Paz pour la partie civile furent au diapason de toute l’audience.
C’est Marcelle Kraemer-Bach, journaliste et presque féministe, qui donne le mieux dans Marianne les ressorts de ces affaires d’escroquerie au mariage (voir ci-dessous un extrait de son article).
Bimba, dans mon souvenir, est une personne assez fantasque mais fantastique. Elle habitait Paris, où elle faisait de merveilleuses fleurs artificielles que l’on porte sur un corsage ou un chapeau. L’hiver, elle allait au Maroc où je l’ai rencontrée dans les années 1948-50. Cette dame se permettait de traiter notre mère, sa nièce, comme une petite fille !
Elle
est décédée en 1964 à Paris, seule. Ses neveux et nièces étaient
éparpillés de
par le monde. Sa fille unique était morte en 1948 dans un accident
d’avion ;
son seul petit-fils Gaëtan Viaris de
Lesegno n’a pas gardé de relations avec la famille Deloustal.