La
recherche sur Jorge Beauchef : épilogue
Catherine
Meste-Nerzic (Sosa 1)
Nous avons déjà évoqué notre famille Beauchef (voir ici).
Anthoine sieur de la Bretonnière (Sosa 4032), bourgeois de
Pontorson, est l’ordonnance du château de Pontorson, au service du
comte Gabriel de Montgommery, protestant, au début du XVIIème siècle.
Certains de ses descendants, mes ancêtres directs,
gagnèrent Saint-Malo, où ils furent armateur, corsaire,
commissaire pour les bois de la marine à la Révolution. L’un des
descendants d’Anthoine se maria en 1790 dans le Cantal, à Saint-Flour,
où il fut agriculteur.
Nous avons également, dans un autre article (voir ici),
décrit notre surprise en découvrant Jorge Beauchef, l’un des «
libérateurs du Chili ». A cette occasion, nous avions exposé les
différents rameaux de Beauchef dont l’existence s’appuie sur des
registres paroissiaux du XVIIème slècle. Nous avons donc pu délimiter
la zone d’origine des Beauchef : la Basse-Normandie (Manche et Orne).
Notre attention a particulièrement été attirée par Denis Beauchef de
Genetais, contrôleur à la Chambre des aides de la Ferté Macé (Orne),
qui vint s’installer à Privas avec sa famille vers 1755.
En février 2017, notre recherche sur
Jorge Beauchef a fait un bond en avant. Nous avons pu nous procurer la
réédition de ses Mémoires par Patrick Puigmal, professeur à
l’université de Los Lagos (à Osorno au Chili). Dans le même temps, nous
avons pu nous mettre en relation avec Patrick Puigmal lui-même.
Nos recherches sur la famille de
Jorge (Georges) Beauchef peuvent s’appuyer sur des éléments solides.
I - Ce que nous apprend
Jorge sur lui-même, à travers ses mémoires
1- Dès le début de ses mémoires, Georges
écrit qu’il est né au Puy-en-Velay en
1787, comme le colonel Waldeck Boudinhon du 4ème régiment de hussard,
régiment dans lequel il s’engage en1804.
Pourtant, comme nous le montre le registre
de contrôle des troupes du 4ème hussard conservé aux Archives
militaires de Vincennes, il déclare lorsqu’il s’enrôle en
1804, qu’il est né le 22.4.1785 à Lyon, fils naturel de Elisabeth
Beauchef.
On retrouve cet acte
de naissance dans les registres
paroissiaux de Lyon (paroisse St Pierre et St
Saturnin, image 23/72) : naissance de Onésime Ismel
Beauchef, fils naturel de Elisabeth Beauchef. Le prénom Georges
n’y figure pas (Ismel ou Sismel, le mot est taché et peu lisible).
photo de l’acte
On retrouve également
sur internet la biographie du général Waldeck Boudinhon, qui était au
4ème hussard au début de sa carrière : né en 1771 au Puy-en-Velay, il
est le fils de Dominique François Boudhinon, d’après les données de la
famille Rougier sur geneanet.
L’existence de l’acte
de naissance de Waldeck Boudinhon dans
les registres paroissiaux du Puy montre que cet élément
des mémoires est confirmé.
2 - Après avoir décrit rapidement ses
années avec Napoléon, son grand homme, Georges donne les péripéties qui
l’amènent au Havre sur le bateau en partance pour l’Amérique. A la fin
du chapitre I, il explique que pour obtenir les passeports nécessaires,
il écrit en 1815 à sa mère
au Puy, pour qu’elle intercède pour lui auprès du préfet
du Puy-en-Velay.
De 1810 à 1815 se succèdent à la tête du
département de haute Loire :
- Jean-François de
Cahouet, polytechnicien, qui a fait les campagnes de Napoléon,
nommé préfet du Puy en 1810, à 26 ans
- Charles Eugène de
Sartiges en 1814 à la chute de Napoléon
- Martin René
Alexandre Bergognié durant les 100 jours ; il avait fait la campagne de
Russie. Il fut rapidement destitué de son poste de préfet à la
Restauration.
On peut penser que Elisabeth Beauchef s’est adressée à Jean François de
Cahouet ou, mais dans une fourchette de temps brève, à Martin Bergognié.
3 -Toujours à la fin du
chapitre I, il parle de sa « mère, veuve et
n’ayant qu’un seul fils ».
4 - Au début du chapitre II, Jorge
écrit que, partant pour le Havre, il s’arrête au Puy. « Je
ne vois que Cosaques, Prussiens, Allemands, Anglais et douleur de toute
part. J’abandonne rapidement l’uniforme et retourne au Puy voir ma
mère. Six Autrichiens logent
dans sa maison. Je lui laisse mes uniformes de la vieille
garde et me mets en chemin pour Paris ».
Le reste de ses mémoires n’apporte
aucun élément supplémentaire à notre enquête sur sa vie en
France. Il nous fait savoir que sa famille est du Puy.
II - Ce que nous apprend
Patrick Puigmal
Nous avons pu entrer en
contact avec le professeur Puigmal, qui a fait éditer en 2001 la
version française des mémoires de Georges Beauchef, ouvrage que nous
avons pu nous procurer. Le professeur Puigmal nous a obligeamment donné
l’un de ses articles, qui porte sur les « mystères » soulevés par la
lecture des mémoires. Il cite les nombreux articles publiés sur ce
sujet. Notre héros Jorge lui-même semble en effet donner des
informations fausses, afin de mieux dissimuler une partie de son
identité. Ceci est en particulier vrai pour le lieu et la date de sa
naissance. Il évoque aussi le veuvage de sa mère certainement pour
cacher qu’il est un enfant naturel. Nous ne reprendrons pas les autres
incohérences relevées par P.Puigmal ; elles se rapportent à sa
carrière militaire : ce n’est pas le sujet qui nous intéresse ici.
Nous retiendrons trois éléments de
cet article :
1-
en 1814, Jorge fait une demande de Légion d’honneur et y joint les
éloges de son ancien commandant de régiment, le maréchal de camp
Boudinhon qui « certifie que le sous-officier Beauchef est un sujet
distingué, et qu’en raison de sa valeur et de sa conduite, il mérite la
récompense qu’il sollicite ». Il ne l’obtiendra pas.
Prise en 1820 de Valdivia par Jorge Beauchef et ses troupes.
Tableau du Musée de la Marine du Chili.
2- vers 1830, alors qu’il prend
sa retraite, un texte de Jorge montre qu’il « est un républicain, pas
un révolutionnaire ». Traduisons le texte en question : « C’est
un axiome vieux comme le monde civilisé qu’une très petite partie de la
société est destinée à mener, et l’autre, très grande, à obéir.
L’égalité est un délire de républicain fanatique et la liberté
frénétique le sépulcre des républiques. C’est pourquoi le citoyen
vertueux qui abrite en son âme l’amour sacré de la patrie doit tribut,
hommage et obéissance à la loi, garder respect au gouvernement et
aucunement l’ambitionner. »
3- vers 1834, un texte de
Georges Beauchef, de retour de son ultime voyage en France
: « En
France, il ne reste rien de ce que j’ai connu. Tout a disparu, famille,
amis, idées, gloire, bref toute mon époque. La solitude a été ma
compagne de voyage. Quel trouble j’ai ressenti ! J’étais un étranger
dans ma patrie. »
Nous avons également
appris de P. Puigmal que les Archives
du Chili ne
conservaient pas le courrier échangé entre Jorge et sa mère Elisabeth
Beauchef : il y a donc peu de chances de trouver une solution de ce
côté. Il nous a fait part de son intention de demander à quelques
étudiants de se plonger sur une nouvelle étude des archives.
III - Notre recherche : qui
est Elisabeth Beauchef , mère de Jorge-Georges Beauchef ?
1- Notre étude préliminaire
a consisté à retrouver tous les Beauchef présents avant 1785 en
France, grâce en particulier aux recherches mises en ligne par
les généalogistes de geneanet, bigenet, geneabank, familysearch… Il est
clair que le patronyme Beauchef est normand, plus précisément de la
Manche et de l’Orne (Basse Normandie). Les registres paroissiaux
débutent, pour certains, dès le XVIème siècle, le plus souvent au
XVIIème.
La
présence du patronyme Beauchef dans le Massif Central et à Lyon ne peut
s’expliquer que par un déplacement de familles normandes.
Après examen de tous les registres paroissiaux, actes d’état-civil,
tables décennales et recensements grâce aux archives en
ligne, nous pouvons dire que ni à Lyon, ni au Puy en Velay, ni à
Yssingeaux, on ne retrouve des Beauchef avant l’arrivée à
Privas de Denis Beauchef de Genetais
vers 1755.
2-
La famille Beauchef de Genetais
Nous connaissons l’arrivée à Privas vers 1755 de Denis Beauchef,
parce que :
- d’une part lorsqu’il s’installe à Privas, il est accompagné de
sa femme Louise Boutry et de ses deux filles ainées Madeleine Sophie et
Louise Henriette, nées à Mortagne-en-Perche (Orne) en 1753 et 1754, et
- d’autre part que sa troisième fille
Elisabeth naît à Privas le 7.6.1757.
Naissent ensuite à Privas quatre autres filles et un fils, décédé
à 7 ans. Cette étude généalogique (que nous avons naturellement
vérifiée grâce aux archives) a été menée par Brigitte Lecable de
Geneanet, qui a fait le lien entre l’Orne et l’Ardèche.
Grâce à Migrants71 sur Geneanet, nous trouvons Rosalie Sophie de
Genetais, née en 1770 à Privas, fille posthume de Denis, qui épouse
François Chambelland. Le premier enfant naît au Puy-en-Velay
en 1793, les autres enfants à Chalon-sur-Saône, mais on ne
retrouve aucun membre de la famille Beauchef présent aux
baptêmes ni au Puy ni à Chalon.
Une autre fille de Denis, Louise (il
y en a trois !) est mariée avec Nicolas Joannes à Yssingeaux, près du Puy en Velay.
On peut constater que sa sœur Rosalie Sophie et leur mère Louise Boutry
se rendent à Yssingeaux lors des naissances des enfants de Louise
et Nicolas (1789, 91, 93), ce qui n’est pas le cas d’Elisabeth.
Enfin
apparaît donc un lien entre Le Puy-en-Velay et la famille Beauchef de
Genetais, grâce aux données concernant deux sœurs d’Elisabeth Beauchef
de Genetais.
On retrouve ces données généalogiques
dans l’arbre donné à la fin de ce document.
3-
L’examen des sources pour Lyon est plus difficile, car il s’agit
d’une très grande ville, l’examen de tous les arrondissements est
impossible. Aucune
des sources habituelles : geneanet,, bigenet,, geneabank,, familysearch
ne donnent la présence de Beauchef dans le Rhône pour des naissances
entre 1750 et 1785. Se trouve seule la naissance de Onésime
Ismel Beauchef, notre Jorge.
4-
On retrouve aussi dans le Cantal, à Saint-Flour
(comme nous l’avons déjà écrit ci-dessus) un François Beauchef,
descendant de Louis Beauchef de la Bretonnière, de Pontorson, notre
Sosa 1016. Né dans la Manche, fils de Nicolas Beauchef et Louise
Rioult, François Beauchef épouse à St Flour (Cantal) Anne
Boussuge le 2.11.1790 ; nous avons tous les actes montrant la
filiation. Il ne peut être
le père d’Elisabeth Beauchef mère de Jorge, né en 1785.
Remarque
Le patronyme Bauchet
se retrouve dans toute la France. Il est parfois pris dans certains
arbres généalogiques pour Beauchef
: mais l’examen de nombreux exemples montre bien que la confusion n’est
pas possible. Le patronyme Beauchef est normand, son origine est
précisément la Basse Normandie.
5-
Notre dernière étape a donc été l’exploration des archives notariales conservées aux AD de l’Ardèche à Privas.
Elisabeth est décédée le 27.10.1835 à
Privas ; l’acte de décès précise : célibataire, rentière.
Nous n’avons pas trouvé de traces de
sa vie : rien chez les notaires, jamais marraine ou témoin lors des
mariages et naissances dans sa famille.
La recherche chez les notaires est très décevante ; le contrôle des
actes ne nous donne pas la trace de testament pour Denis Beauchef, ni
pour Louise Boutry, ni pour Elisabeth. Par ailleurs l’acte
de décès de Denis Beauchef le 26.10.1769 ne précise pas ce
qu’était son emploi, ni quel était son domicile. Décédé à 51 ans, il
pouvait encore avoir une charge comme celle qu’il avait en Normandie.
Nous n’avons pas trouvé, ou su
trouver, d’inventaire après décès, hormis celui de Sophie Girard,
petite-fille de Magdeleine Sophie Beauchef de Genetais, femme de
Jean François Pomba, libraire, qui donne plusieurs pages de titres de
livres !
En 1832, le testament de Jean
François Girard (né en 1811), frère de Sophie épouse Pomba, nous
apprend qu’ils ont une sœur nommée Adélaîde. En raison d’un projet de voyage en Amérique,
Jean François Girard lègue ses biens à ses deux sœurs, et donne
procuration à son beau-frère Jean François Pomba pour gérer ses biens,
propriétés terriennes et immeubles, le 24.6.1832, à Privas, chez Maître
Guérin. Il décède à Privas en 1834, sans doute sans avoir mis son
projet à exécution.
Puisqu’aucun
fils de Denis Beauchef de Genetais ne peut perpétuer le patronyme, et
puisque Jorge est fils naturel d’une Elisabeth Beauchef, il est
hautement probable que cette fille de Denis soit la mère de Jorge :
elle aurait 28 ans en 1785, à la naissance de Jorge.
Nous avons pu établir la généalogie
de Denis Beauchef de Génetais et de ses descendants (arbre ci-dessous).
Nous considérons
que Georges est l'un d'entre eux.
Nous arrêtons donc cette recherche
pour le moment (18
avril 2017),
mais restons intéressés par tout nouvel élément.
Pour terminer, un extrait d'une BD chilienne relatant la
libération du Chili et la participation de Jorge Beauchef.
DOCUMENTS CONSULTES
1)
Contrôle des actes notariés à Privas :
- 2 C 3523 testaments pour les
périodes 1765- 1769, 1830-1834, rien trouvé
- 2 C 3522 contrats de
mariages 2 E 4699 : contrat de mariage de Magdeleine
Sophie Beauchef de Genetais et Jean Girard chez le notaire
Teyssonnier
2) Répertoires puis minutes
notariales : Chalamon, Lacrotte, Escoulens, Guinabert,Crouzet,
Serpolet, Aurenge, rien trouvé
Jules Guérin 2 E 21839 le
24.6.1832 :
- testament de Jean François Girard
né en 1811en faveur de ses deux sœurs Marie Magdeleine Sophie épouse
Pomba et Adélaïde Girard
- procuration à son beau-frère Pomba
et sa sœur Sophie pour gérer ses affaires en son absence lors de son
voyage en Amérique
3) Archives départementales en
ligne : Ardèche, Puy- de-Dôme, Cantal, Saône-et-Loire, Rhône,
4) Outils de recherche généalogique
: geneanet, bigenet, geneabank, familysearch, genea 50…
5) Sur geneanet : arbres
généalogiques de
- Brigitte Lecable (bribri)
- Brigitte Beaucher
- JP Rongier
- cgilletd (chili)
- famille Rougier (massiliensis)
6) Ouvrage de référence :
J.Beauchef : Mémoires pour servir à
l’indépendance du Chili. Edition traduite et annotée de Patrick
Puigmal. La Vouivre, 2001 (édition épuisée).
Nous tenons à remercier le professeur Patrick Puigmal pour les
informations qu'il a bien voulu nous transmettre, ainsi que les
généalogistes (mentionnés dans le texte) pour le partage de leurs
données sur Geneanet.